En 1893, le Docteur Hippolyte Butruille fait paraître un rapport sur la grande mortalité des nourrissons à Roubaix : 25% d’entre eux n’atteignent pas l’âge d’un an. La moitié de ces décès est due à des cas de gastro-entérite provoqués par une mauvaise hygiène de l’alimentation.
En effet, à cette époque où Louis Pasteur vient de mettre en évidence le rôle des bactéries dans le développement des maladies, les mères continuent « à utiliser des biberons jamais bouillis, quelquefois rincés et remplis d’un lait douteux« .
A la suite de ce rapport se crée, sous l’impulsion de Monsieur Charles Deschodt, le Comité roubaisien de Protection de l’Enfance qui a pour but selon ses statuts : « d’encourager et de propager l’allaitement maternel, de faire pénétrer les règles d’hygiène infantile et particulièrement de l’allaitement artificiel, de fournir par l’intermédiaire de » La Goutte de Lait » aux femmes qui ne peuvent nourrir leur enfant au sein, un lait sain, enfin de donner aux mères par les soins de ses médecins les conseils d’hygiène nécessaires « .
L’action du Comité ne prend vraiment son essor qu’après qu’un industriel roubaisien émigré aux Etats-Unis, Monsieur Pierre Wibaux a écrit, l’année précédente, aux administrations municipales de Roubaix, Tourcoing et Lille en leur promettant une donation de 25.000 francs afin d’établir des fermes modèles dont le lait pourrait être distribué dans les meilleures conditions aux familles nécessiteuses. Le Docteur Butruille, devenu Président du Comité, accepte la donation et la municipalité décide de louer un local au n°12 de la rue de Lille.
Le 1er février 1904, La Goutte de Lait commence à fonctionner. Elle regroupe une consultation de nourrissons sous la responsabilité des Docteurs Felhoen et Lerat et un centre de pasteurisation et de distribution de lait géré par Monsieur Alfred Leclercq. Très vite, l’action bénéfique de La Goutte de Lait porte ses fruits et la mortalité des nourrissons descend à 13,5%.
La municipalité, sous l’initiative de Monsieur Eugène Motte, décide de doter l’association de ses propres locaux. C’est une parcelle située boulevard Gambetta et qui appartient à l’entreprise Motte-Bossut qui est choisie. Ce terrain a l’avantage de se trouver » à proximité de la Grand-Place, des Halles, des marchés et de la Place de la Liberté où convergent tous les tramways « . L’établissement des plans est confié à l’architecte Albert Bouvy. L’achat du terrain coûtera la somme de 37.400 francs. Les fonds proviennent d’une loterie de liquidation d’un montant de 500.000 francs attribuée à la ville de Roubaix par arrêté ministériel. Le reste de la somme est affecté à la construction de deux pavillons pour enfants à l’hôpital de la Fraternité. Le bâtiment sera inauguré le 22 décembre 1912.
La Goutte de Lait comporte deux bâtiments distincts : celui donnant sur le boulevard du Général Leclerc est attribué à la consultation des nourrissons, celui donnant sur la rue de la Poste à la préparation des rations de lait pasteurisé. Ces installations sont louées au Comité par la municipalité pour une somme symbolique de un franc par an. Le Comité de Protection de l’Enfance s’occupe de l’organisation, apporte ses médecins, son personnel. Les frais de fonctionnement sont couverts par une subvention municipale annuelle qui s’élève à 3.500 francs en 1904 et par la rente assurée par la donation de Monsieur Pierre Wibaux. Le lait pasteurisé est payé à raison de 20 centimes la ration journalière pour les familles modestes et entre 30 centimes et 1 franc pour les autres familles. Le lait provient d’une ferme de Bondues et est traité par chauffage à 75° pendant 10 minutes selon le procédé de l’ingénieur Constant. En 1924, sur 731 enfants inscrits, seulement 5 décèdent, soit 3,51 %.
En 1927 est fondé le Comité des Dames qui met en place l’oeuvre du » Prêt du Lit-Berceau « . Trois ans plus tard, à la mort du Docteur Butruille, Monsieur Joseph Wibaux, frère du généreux donateur, accède à la présidence et à la suite de ses démarches, La Goutte de Lait est reconnue d’utilité publique. A ce moment, l’œuvre ouvre une consultation de nourrissons dans six quartiers de Roubaix. En 1933, le Docteur Paul Butruille (le fils) devient Président du Comité. Cette année là, 308 enfants sont nourris à La Goutte de Lait pour un total de 65.370 rations.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre est menacée de disparition du fait de la baisse de ses ressources, et le 1er novembre 1946, La Goutte de Lait est prise en charge par la Ville de Roubaix. Les années cinquante verront de nombreuses transformations. Les consultations sont supprimées et les bâtiments sont entièrement consacrés à la préparation des rations de lait. Un quai de départ et d’arrivée des biberons est construit ainsi qu’une chambre froide. Mais en 1954, à la suite de la circulaire ministérielle obligeant à fournir aux enfants des écoles, des rations de lait journalières, le centre ne peut suffire à la tâche et la municipalité fait appel à la Société Anonyme des Fermiers Réunis de Paris qui possède une usine à Tourcoing pour fournir les grandes quantités de lait nécessaires. La Goutte de Lait perd alors sa raison d’être et en 1959, le Conseil Municipal décide la désaffection du service et procède à la vente du matériel. Le 1er février 1961, les bâtiments sont loués à l’État pour l’installation de la recette perception de Roubaix nord. Au départ de celle-ci, c’est l’association d’aquariophilie » L’Animaquarium » qui occupera les locaux jusqu’en 1984.
Ainsi, les bâtiments du 31, boulevard du Général Leclerc restent les témoins d’une époque héroïque où la protection de la santé des enfants était confiée à l’initiative privée. De plus, de par son architecture originale, ce bâtiment méritait d’être préservé et mis en valeur dans le cadre de la réhabilitation du centre-ville. Les bâtiments de La Goutte de Lait sont aujourd’hui réhabilités par l’architecte roubaisien Jean Charles Huet qui a conservé et restauré la belle façade donnant sur le boulevard du Général Leclerc.