Si le nom de Cogghe demeure dans la mémoire septentrionale, c’est en grande partie grâce à son tableau le célèbre « Combat de coqs en Flandre française » (1) aujourd’hui conservé au Musée d’art et d’industrie » La Piscine » André Diligent.
La saison des combats qui va du premier dimanche de septembre au mardi de la Pentecôte est importante pour Roubaix qui ne compte pas moins de 50 sociétés de coqueleux et une trentaine de parcs à la date de réalisation de ce tableau 1889. « Le coq gaulois », qui ne paraît que pendant cette période, renseigne parieurs et amateurs des horaires et lieux de combats.
Les travaux préparatoires, élaborés pour cette œuvre importante dans une taille restreinte, permettent une mise en place rigoureuse de la composition. Les croquis pris sur le vif à l’habitude de l’artiste, indiquent que dans ce cas le décor a été scrupuleusement respecté, mais qu’il n’en va pas de même pour les personnes représentées. Cogghe fréquentait le » gallodrome » de la rue du Vieil Abreuvoir où il louait un atelier. Est-ce le théâtre de cet affrontement des valeureux volatiles ?
Qui assiste à ce combat ?
Par l’intermédiaire d’une scène anecdotique, Rémy Cogghe va nous brosser les portraits des diverses personnalités roubaisiennes de son entourage. Ce que nous décrit Rémy Cogghe est inspiré de ses amitiés et de ses loisirs.
Un article du Journal de Roubaix de 1909 nous révèle quelques noms de ceux qui assistent à ce combat singulier en un temps où la place tenue par l’argent permettait encore ce mélange du prolétariat et de la bourgeoisie autour des mêmes loisirs… « d’autres figures bien connues des Roubaisiens de l’époque se trouvent sur cette toile : Messieurs Bertin, Georges, Mille, Jules Broux, Emile Vandepeut, Emile Verfaille, Achille Florin. «
Henri Florin que l’on trouve au premier plan debout, attentif au déroulement du combat, avait son atelier de graveur-lithographe dans cette même rue. Son frère Achille, délégué cantonal de l’instruction primaire, ancien adjoint au maire de Croix, Henri Pluquet, voisin du peintre professeur aux écoles académiques de Roubaix (2). Emile Bouzin assiste aussi un peu plus haut à la bataille acharnée qui se livre plus bas. De part et d’autre d’Henri Florin, Monsieur Seÿs et Monsieur Senelar, que beaucoup confondent avec Victor Hugo. Moïse Farvaque à l’extrême droite, propriétaire du Café des Arcades (qui abritait un gallodrome sous ses combles et dont Cogghe était un assidu), est le voisin de l’ami fidèle de Rémy Cogghe : Abel Letombe, l’homme au chapeau haut de forme, penché en avant.
Notez la variété des couvre-chefs que Cogghe – qui portait bien souvent le chapeau melon – a représentés. Ainsi Paul Crombé (frère cadet de Jules, le fournisseur des artistes déjà installé rue Nain) nous interpelle avec ce canotier qu’il arbore au deuxième rang à la gauche du tableau.
La première société officielle de coqueleux, agréée par la Préfecture en 1859, a son siège rue du Grand Chemin, au Pré catelan, chez M. Delaplace. Alphonse Vaissier (3) fait partie des membres de cette société dès sa création. C’est lui qui rédigera et fera imprimer les règles des combats. A ce titre, sa place dans le tableau n’est que justice. On le reconnaît avec son haut de forme sur la diagonale du tableau qui, passant au milieu des deux coqs furieux, le place juste derrière Henri Florin.
Il ne faut pas oublier que les combats donnent lieu à des paris, ce que Cogghe n’omet pas de nous montrer au plein centre de la foule par cette main anonyme qui se tend vers le haut.
A droite au-dessus de M. Farvaque, Messieurs Vandepeut, Duforest, Verfaillie.
Le coin supérieur gauche du tableau rassemble quelques membres de la famille Letombe : au centre, Celer, le père, professeur de Rémy Cogghe aux écoles académiques de Roubaix. A son côté, Léon, son second fils, appuyé à une poutre ; c’est le demi-frère d’Abel Leblanc. Et de l’autre côté le beau-frère de Celer, M. Mille-Florin. (Monsieur Letombe ayant épousé une Florin, sœur de Madame Mille. Sont-elles sœurs des frères Achille et Henri Florin ?)
Au-delà de l’attention au réel, de la précision des détails, du goût des matières qui retiennent l’œil et traduisent le savoir-faire de l’artiste, l’œuvre de Cogghe montre le caractère sociable et bon du Roubaisien. Les qualités traditionnelles qui ont permis de créer la puissance industrielle de Roubaix, ardeur, énergie, tradition se retrouvent en filigrane dans ces multiples portraits.
Par cette description objective de la société dans laquelle il vivait, Rémy Cogghe essaie de donner l’image la plus précise possible de celle-ci et nous présente le monde dans sa réalité. L’œuvre reste la pièce maîtresse de Cogghe et fera référence pour les critiques artistiques du XIXe, faisant couler beaucoup d’encre lors de son exposition au Salon de Paris. Aujourd’hui encore les journalistes s’y réfèrent lorsqu’ils parlent du peintre.
Dominique VALLIN-PITEUX
administratrice de la Société d’Émulation de Roubaix
(1) Legs Selosse
(2) Qui deviendront par la suite ENSAIT
(3) Vaissier frères, » le savon du Congo «