La Seconde République réorganise par la loi Falloux (15 mars 1850) l’école primaire, les cours d’adultes et d’apprentis. Cette loi a été rédigée par la majorité conservatrice qui, effrayée par le sursaut révolutionnaire de 1848, conçoit l’instruction d’abord comme un moyen d’éducation morale et religieuse, comme une garantie pour le maintien de l’ordre social. Elle conserve globalement les structures mises en place par la loi Guizot, mais en change l’esprit. La distinction publique et libre se met en place. On appelle « école publique » les écoles fondées ou entretenues par les communes, le département ou l’état et « école libre » les écoles fondées ou entretenues par des particuliers ou des associations. L’Ecole primaire publique ne reçoit pas pour mission de procurer la possibilité d’une promotion sociale aux enfants du peuple mais de leurs apprendre à respecter les autorités.
Le soin de former les cadres de la nation est dévolu à l’Ecole privée, aux collèges et aux lycées, établissements qui ne sont pas accessibles aux pauvres. Les instituteurs sont surveillés ; ils peuvent êtres sanctionnés par le préfet en fonction de leurs opinions politiques.
Un exemple nous est donné par la ville de Roubaix, lorsqu’en septembre 1850, Courmont, ex-instituteur communal à Esquermes (Lille Sud), se présente comme sous maître à l’école mutuelle. Henri Delattre (maire de 1848 à 1855) s’adresse au Préfet pour demander des renseignements “confidentiels » sur cet homme. Il croit en effet se souvenir que cet instituteur a donné de graves sujets de plaintes au comité local de Wazemmes et que « s’il n’a pas été révoqué, il a été en quelque sorte obligé de se retirer, parce qu’il avait perdu la confiance de l’administration. Il précise que si tel était le cas, il se garderait « de le recevoir dans notre école ».
Le Préfet s’adresse à l’inspecteur primaire qui lui confirme que cet « instituteur, depuis longtemps demeuré personnellement en dehors de toute agitation politique, a laissé tenir, en 1848, dans la salle d’école des réunions qui avaient un caractère politique, auxquelles il assistait et qui ont été assez tumultueuses ». Si cela, ajoute l’inspecteur, ne paraît pas très grave en égard aux temps « le plus grand mal, c’est que l’autorité religieuse ait crû devoir se séparer de lui et ne plus paraître à l’école ». De plus, indique-t-il, «Courmont a un fils, âgé de 21 ans qui conserve, assure-t-on, des relations avec des démagogues et il est fâcheux que M. Courmont n’ait pas assez d’empire sur ce jeune homme pour le tenir à l’écart».
L’inspecteur primaire conclut en estimant que cet instituteur n’est peut-être pas à sa place dans une grande commune, aux portes de Lille et que dans son intérêt et celui de la commune, « il serait à propos » de lui assigner « un poste moins pénible ». Un rapport sur le personnel de l’instruction primaire, rédigé en 1853 à la demande du gouvernement, nous apprend que les instituteurs de la ville de Roubaix, Commere (école de la rue du Bois, ancienne école mutuelle), Labonne et les vingt Frères (école des Frères) sont perçus comme « attachés au gouvernement », « très considérés et influents», « d’une très bonne conduite » et « convenables sous tous les rapports ».
Sur la qualité de l’enseignement, les rapports de l’inspecteur Bernot sont plus nuancés. En 1850, il constate qu’à Roubaix et Tourcoing : « Les chiffres des élèves avancés pourraient être plus notables. Ces instituteurs (les Frères) avouent difficilement qu’il est utile d’habituer dès le plus jeune âge, les enfants au calcul verbal, de les entretenir familièrement, comme on fait dans les salles d’asile, de notions élémentaires aux matières diverses qu’ils auront à apprendre subséquemment. Ils trouvent plus simple ou plus facile d’enseigner exclusivement la lecture d’abord, l’écriture ensuite, etc … Or, dans cette quantité d’élèves, on en compte par centaines qui, venus tard en classe ou ayant peu d’aptitude pour la lecture courante, atteignent l’âge de douze ou treize ans, et quittent l’école avant d’avoir entendu une leçon de calcul et même de savoir signer leur nom» .
En décembre 1851, l’Empire succède à la République. S’appuyant sur la loi Falloux, le ministère de l’instruction publique commence par épurer le corps enseignant des instituteurs suspects de socialisme et laisse le clergé accentuer son influence sur l’Ecole primaire. Le mouvement s’inversera après 1863, lorsque Victor Duruy deviendra Ministre de l’Instruction Publique.
Ce dernier, s’appuyant sur la statistique de l’instruction primaire de 1861, constate que 600.000 enfants sont encore privés d’instruction et que la plupart d’entre eux appartiennent à des familles hors d’état de payer le mois d’école. Il adresse donc une circulaire aux préfets, rappelant qu’ils ont le devoir de maintenir le principe énoncé par la loi du 15 mars 1850 (loi Falloux), article 24 : « l’enseignement primaire est donné gratuitement à tous les enfants dont les familles sont hors d’état de le payer ». Certes l’article 45 de cette même loi confiait au maire, de concert avec les ministres des différents cultes, le soin de dresser la liste des enfants devant être admis gratuitement dans les écoles publiques, mais un règlement du 31 décembre 1853 (art.13) était venu le modifier, en donnant au préfet le devoir de fixer le nombre d’enfants pouvant être admis gracieusement.
Or la rétribution scolaire dans le département du Nord était en moyenne de 1.50 franc par mois, ce qui représentait une charge assez lourde pour les plus pauvres de la commune qui n’étaient plus admis sur les listes de gratuité. Les conséquences ne se sont pas fait attendre comme le souligne un rapport de l’Inspecteur Grimon : « Par suite de la restriction des listes de gratuité, le nombre d’élèves va sensiblement diminuer et je crains d’avoir à la fin de l’année à signaler une notable diminution dans le personnel écolier des communes environnant Roubaix, Tourcoing, Lille, Lannoy ».
De 1837 à 1845 : l’intérêt très relatif de l’inspecteur et des sous-inspecteurs du Nord pour les salles d’asile À compter de la fin de l’année 1837, les inspecteurs du département du Nord vont effectivement inclure ces établissements dans leurs tournées d’inspection et régulièrement dresser les tableaux statistiques propres à cet enseignement. Cependant, l’intérêt de l’inspecteur Carlier et des sous-inspecteurs Dantec et Joly pour les salles d’asile semble être demeuré très relatif puisque de 1837 à 1845, hormis quelques lignes dans les rapports annuels de l’inspecteur Carlier, rendant compte de l’augmentation du nombre de ces institutions, nous n’avons retrouvé aucun rapport d’inspection concernant les salles d’asile du département. Le nombre relativement restreint de ces établissements (8 en 1837, 34 en 1845) pouvant justifier un nombre peu élevé de rapports mais aucunement leur inexistence, nous pensons que les inspecteurs, peu enclins de par leur formation à comprendre la petite enfance, se contentèrent d’honorer périodiquement de leur visite ces institutions et laissèrent, durant toute cette période, aux Dames inspectrices, l’inspection réelle de ces établissements.
Pour la bourgeoisie d’affaire et financière, soucieuse de rétablir la paix sociale après la Révolution de Juillet, et pour un patronat industriel dont les besoins en main d’œuvre ouvrière ne cessaient de croître dans les grands centres manufacturiers, notamment du Nord et de l’Est, les salles d’asile apportaient une réponse à une nécessité économique et une solution à un fait social. En effet, ces institutions pouvaient permettre aux mères des jeunes enfants de travailler, mais elles avaient également le mérite de remédier au problème posé par l’errance des enfants d’âge préélémentaire en leur fournissant un lieu de garde (tenu par des surveillantes). La bourgeoisie de Juillet, sous le couvert d’une œuvre indiscutablement charitable, a donc, pour des raisons économiques, sociales et sanitaires, promu et, dans une large mesure, financé ces établissements. Cette position est parfaitement résumée par Ambroise Rendu, haut fonctionnaire au ministère de l’instruction publique qui présida la Commission supérieure des salles d’asile, établie par Salvandy ; une commission dont la plupart des membres appartenaient à cette bourgeoisie : « (grâce aux salles d’asile) les pères et mères de ces pauvres enfants ont toute la liberté de se livrer aux occupations et aux labeurs qui assurent leur existence. Ils continueront sans doute de manger leur pain à la sueur de leur front ; mais du moins, tranquilles pour ce qu’ils ont de plus cher au monde, ils se soumettront sans trouble et sans murmure à cette grande loi du travail qui leur deviendra tout à la fois plus facile et plus fructueuse. (…) On ne peut trop le redire, le contentement du pauvre est le bonheur du riche »
Cette prise de conscience, par la bourgeoisie et le patronat, de l’utilité des salles d’asile s’est traduite très concrètement, dans le département du Nord et à Roubaix en particulier, par une prise en charge croissante des dépenses d’investissement et de fonctionnement de ces établissements par les communes. De fait, si la première salle d’asile ouverte dans le Nord (celle de Dunkerque en 1835) le fut grâce à des fonds privés, nous constatons que dix ans plus tard, alors qu’aucun texte législatif ne leur imposait, les communes (16 sur 18 communes de plus de 6.000 habitants) subviennent à l’entretien de la moitié des salles d’asile du département et à l’accueil des trois quarts des enfants scolarisés dans ces établissements. A cet effet, elles ont alloué à ces institutions, l’année de ce relevé, une somme totale de 32.538 francs qui représente environ le tiers des sommes allouées, par les communes, aux écoles de filles (91.076 francs) et un peu moins du dixième de celles qui sont allouées aux écoles de garçons (397.272 francs).
Conscient de la dimension sociale et pédagogique de ces institutions préélémentaires, le clergé et le parti clérical en général, cherchant également à contrer l’offensive universitaire, ne restèrent pas insensibles au développement des salles d’asile. Dénonçant, dans les derniers temps de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, l’emprise protestante sur ces institutions, ils décidèrent d’ouvrir leurs propres salles d’asile, arguant du caractère essentiellement charitable de ces institutions. À l’instar de ce qu’ils firent pour les écoles privées de filles, ils réunirent des fonds pour permettre l’ouverture d’établissements privés dont ils confièrent la direction à des congrégations religieuses et usèrent de toute leur influence pour que les municipalités confient également à des Sœurs la tenue des salles d’asile communales.
Cette volonté de faire coexister l’école primaire de filles et la salle d’asile, idée dont le principe sera généralisé sous la IIIe République, suite à la loi du 16 juin 1881 donnant une existence légale aux « écoles maternelles », apparaît dans ce texte de 1846 très novatrice. Nous l’avons toutefois trouvé exprimée pour la première fois dans un texte, rédigé par un sous-inspecteur du département de l’Yonne, antérieur de cinq ans à cette instruction pastorale de l’archevêque de Cambrai. En l’occurrence, ce sous-inspecteur proposait, pour réduire les frais engendrés par la nécessité de développer les salles d’asile, d’accoler de façon systématique ces établissements aux écoles primaires : l’instituteur se chargerait de la classe élémentaire et sa femme de la salle d’asile. Il proposait, de plus, d’établir une sorte de bulletin scolaire qui suivrait l’enfant de la salle d’asile à l’école primaire
Cette politique de congréganisation des salles d’asile va conduire les inspecteurs primaires de ce département à considérer avec plus d’intérêts le développement de ces établissements. En effet, la publication de l’instruction pastorale sur les salles d’asile de l’archevêque de Cambrai n’est certainement pas étrangère avec, la même année, une vaste campagne d’inspection et la publication du premier rapport spécifique à ces établissements, auxquelles sont associés, chacun dans son arrondissement, l’inspecteur Carlier et les quatre sous-inspecteurs du Nord. Dans l’introduction de ce rapport, le sous-inspecteur Debruyne, qui confirme par ce fait le relatif désintérêt des inspecteurs primaires pour les salles d’asile dans la période antérieure à cette date, écrit que « depuis deux ans (1844) les inspecteurs, dans le cours de leurs tournées, travaillent à découvrir ces asiles, les visitent et donnent quelques conseils aux directrices ». Tout en reconnaissant le caractère fastidieux de l’inspection des salles d’asile, il établit un constat qui démontre un décalage de quelques années entre la diffusion des instructions ministérielles et son application dans ce département : « L’humble enfance aussi demande l’appui, l’expérience de l’inspecteur. La visite des petites salles d’asile, des écoles gardiennes, travail fastidieux si l’on veut, est une mission de civilisation réelle, mission procurant bien être physique et moral à de jeunes êtres qui réclament des soins encore incompris par la plupart des femmes qui les donnent».
Pour établir ce rapport, les inspecteurs déclarent avoir visité toutes les salles d’asile et les écoles gardiennes du département. Ils ont ensuite établi une classification en trois ordres, selon la tenue de l’établissement. Ainsi, ils font une réelle distinction entre les trente-trois salles d’asile dont les directrices sont munies d’un brevet, et les écoles gardiennes tenues par des femmes qui en sont dépourvues. Les premières, divisées en deux ordres, sont, selon les inspecteurs, en général toutes tenues d’une manière satisfaisante : les directrices y ont toutes de l’ordre, de la propreté et de l’affection mais certaines, dont les asiles sont classés dans le 2e ordre, manquent encore de méthodes. Par contre, les inspecteurs se disent consternés par la tenue des écoles gardiennes (asiles de 3e ordre). Ils ont en effet constaté que dans un grand nombre de ces établissements, dont beaucoup de « surveillantes » embrassent cette carrière parce qu’elles sont incapables de toutes autres choses, «les enfants restent assis toute la journée sur une petite chaise ». Sincèrement révolté, le sous-inspecteur Debruyne écrit que son service doit tout faire pour que la première éducation des 10.000 enfants de ces salles d’asile de 3e ordre (pour 4.300 dans les asiles de 1er et 2e ordre) ne soit pas abandonnée «au caprice, au hasard, à l’inexpérience ou à l’ignorance de la première venue ».
L’intérêt manifeste de l’inspection primaire de ce département pour les salles d’asile et les écoles gardiennes de son ressort sera cependant de courte durée. En effet, l’année qui suivit ce rapport, le conseil général, en refusant de renouveler les crédits votés depuis 1843 pour subvenir aux traitements de deux sous-inspecteurs, a contraint le bureau de l’inspection primaire de ce département à recentrer ses activités sur les écoles primaires. Durant trois ans, de 1847 à 1850, les salles d’asile n’ont plus reçu la visite des inspecteurs primaires, de nombreux changements dans le personnel de l’inspection ayant prolongé, durant toute la Deuxième République, la situation engendrée par le désistement financier du conseil général. De fait, les inspecteurs primaires ne pourront que constater, quatre ans après la révolution de Février 1848, une congréganisation accrue des salles d’asile du département. En effet, dans un rapport établi sur les trois arrondissements d’Avesnes, Cambrai et Valenciennes, les inspecteurs notent que 35 des 78 salles d’asile (soit 45 %) sont dirigées par des Sœurs (contre 5 % en 1846). Pourtant, à l’inverse des écoles primaires dont l’organisation et la surveillance avaient été fortement modifiées par la loi du 15 mars 1850, aucune loi n’était venue supprimer ou compléter, entre février 1848 et le début du Second Empire, l’ordonnance du 22 décembre 1837 relative aux salles d’asile. Seule une disposition de l’arrêté du 28 avril 1848, portant création du Cours pratique, prévoyait que les salles d’asile, improprement qualifiées d’établissements charitables par l’ordonnance du 22 décembre 1837, étaient des établissements d’instruction publique, et qu’elles prendraient désormais le nom d’écoles maternelles. Mais cette prescription resta lettre morte, tout comme la disposition du projet de loi du 15 décembre de la même année qui spécifiait que « toute commune au-dessus de 2.000 âmes serait tenue d’avoir une salle d’asile au moins ».
La gratuité dans les écoles primaires : une situation contrastée
En ce qui concerne la gratuité dans les écoles primaires publiques et libres du Nord, avancée sociale certaine encouragée par chaque ministre en poste, la situation varie considérablement d’un arrondissement à l’autre. Pour l’ensemble du département, la gratuité de l’enseignement est pratiquement acquise, dès 1850, dans près de la moitié des écoles primaires. Cette donnée masque toutefois de grosses disparités entre les arrondissements, comme le démontre cette enquête de 1860.
• La gratuité dans les écoles publiques et libres en 1860 par arrondissement
Avesnes 29 %
Cambrai 38 %
Douai 48 %
Dunkerque 55 %
Hazebrouck 57 %
Valenciennes 43 %
Lille 66 %
Nord 49 %
• par effectifs : payants gratuits total
Arrondissement de Lille 8.773 16.673 (65 %) 25.446
Département du Nord 45.249 44.028 (49 %) 89.273
La même année, le Ministre fait recueillir et imprimer plusieurs statistiques sur les différents ordres d’enseignements et sur les cours d’adultes : « ce que je veux connaître avant tout, c’est la véritable situation du pays ». Il espère ainsi montrer à l’Empereur et au pays « tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour et par conséquent, ce qui reste à faire pour l’éducation de la jeunesse française ». Nous n’avons, malheureusement, pas pu retrouver de documents pour la décennie 1850-1859 à Roubaix. Nous pouvons néanmoins supposer que la situation scolaire ne s’est guère améliorée malgré l’ouverture de deux écoles de garçons (en 1851 et 1857) confiées aux frères de la Doctrine chrétienne, d’une école de filles et d’un nouvel asile dans le quartier du Tilleul.
En effet, plusieurs lettres du Préfet du Nord (avril 1855, juin 1857, octobre 1857) signalent l’exiguïté des locaux affectés à l’enseignement dans la commune de Roubaix, ainsi que l’insuffisance de personnel.